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Loups-garous, traitres et saboteurs ont infiltré l’organisation : Comment faire collectif malgré tout

Récemment, j’ai participé à une expérience fort enrichissante : le jeu Loups Garous adapté par Canal Plus dans un programme de semi téléréalité. Je vous raconte tout cela.


Le jeu des Loups Garous de Thiercellieux adapté par Canal Plus

Le loup-garou, un jeu de psychologie sociale


Les origines du jeu du Loup-Garou diffèrent. A la base il s’agirait d’une expérimentation développée par un chercheur russe en psychologie sociale, Dimma Davidoff. Il avait alors nommé le jeu “Mafia”, imaginé au milieu des années 80 à Moscou. Il s’agissait alors de comprendre les dynamiques de groupe collectives dans un contexte particulier où les rôles sont asymétriques et où les personnes doivent voter et débattre dans un climat de méfiance. Le jeu aurait alors connu un immense succès auprès des étudiants qui le répandirent un peu partout.


La version française “les Loups-Garous de Thiercellieux” a été créée en 2001 par les auteurs français Hervé Marly et Philippe de Pallières, c’est celle que l’on connaît avec les cartes au graphisme si particulier et reconnaissable. Ce jeu appartient à la famille des jeux de déduction sociale, dans lequel il s’agit de “débusquer” les bullshiters et menteurs. On pense à d’autres versions qui s’en rapproche comme Secret Hitler, Among Us ou Time Bomb.


Les règles du jeu sont simples : un groupe d’une dizaine de personnes (les Villageois) se voient dévorées chaque nuit (par les Loups). Le but du jeu est pour les Villageois de démasquer ces Loups qui se font passer pour des Villageois.Il faut noter l’existence de rôles particuliers chez les Villageois. Par exemple :

  • la voyante qui peut retourner la carte de son choix pour voir le rôle de Untel ;

  • la sorcière qui a deux potions à utiliser, l’une pour sauver un Villageois, l’autre pour condamner ;

  • le maire qui a double vote ;

  • le chasseur, qui tire un coup de fusil au moment où il est dévoré, éliminant ainsi un joueur ;

  • et d’autres subtilités…


Le Loup-Garou est avant tout un jeu de bluff, de persuasion et de manipulation. Les joueurs doivent utiliser la communication, la logique et parfois la dissimulation pour convaincre les autres de leur innocence ou pour accuser quelqu'un d'autre. La dynamique de groupe et les alliances temporaires rendent chaque partie unique et imprévisible.


Le jeu du Loup-Garou est non seulement divertissant, mais il permet également de développer des compétences analytiques, d’observation et de négociation, en plus de renforcer la cohésion de groupe.


Les notions qui me semblent incontournables et liées au jeu du Loup-Garou


Les besoins auxquels le jeu du Loup-Garou répond


Suite à cette expérience marquante, il me semble indispensable de partager la richesse de ce jeu basé sur :

  • la cohésion d’équipe : Le loup-garou encourage les joueurs à dialoguer, à débattre et à collaborer pour atteindre des objectifs communs. Cette interaction peut aider à renforcer les liens entre collègues et améliorer la cohésion de l’équipe.

  • la maîtrise et l’amélioration des compétence liées à la communication: Les participants doivent communiquer efficacement pour influencer les autres, présenter des arguments convaincants et déceler les mensonges ou les demi-vérités. Ces compétences sont directement transférables dans un environnement professionnel, où la communication claire est souvent cruciale pour le succès.

  • la capacité à s’adapter en contexte hostile : Le jeu exige des joueurs qu'ils analysent les informations disponibles, souvent incomplètes ou contradictoires, pour prendre des décisions éclairées. Cette pratique peut aiguiser la pensée critique, utile dans la résolution de problèmes complexes au travail.

  • le repérage des comportements saboteurs (“pommes pourries”) : Puisque le jeu repose en partie sur la capacité à lire les indices non verbaux et verbaux mais également à interpréter le comportement d'autrui , les joueurs peuvent développer une meilleure sensibilité aux comportements qui mettent en danger le groupe.


Les enjeux anthropologico-philosophiques soulevés par le jeu du Loup-Garou


Le jeu nous renvoie principalement à ces 5 dimensions que j’aurais plaisir à développer en vous faisant jouer (groupe de 15 à 100 personnes) :


1- Le rôle des minorités dans le collectif

Que ce soit en référence aux travaux de Serge Moscovici sur les influences minoritaires au sein des groupes, ou notre façon de voter, il est important (et passionnant d’aborder cette question). En effet, et contrairement aux idées reçues, le sociologue a démontré l’impact significatif de la minorité sur la majorité. Il a ainsi identifié plusieurs processus par lesquels les minorités exercent leur influence:

  1. Influence directe: La minorité peut parfois convaincre directement la majorité de changer d'avis.

  2. Influence indirecte: Plus souvent, l'influence se produit de manière indirecte, en amenant la majorité à reconsidérer ses positions.

  3. Effet de conversion: Moscovici a observé que l'influence minoritaire peut conduire à des changements profonds et durables dans les attitudes de la majorité.

On abordera également la question du vote démocratique avec Condorcet. En effet ce dernier a mis en lumière ce qu'on appelle aujourd'hui le "paradoxe de Condorcet", qui démontre que les préférences majoritaires peuvent être cycliques et incohérentes. Ce paradoxe souligne l'importance de prendre en compte les opinions minoritaires dans les processus de décision.


2 - Nos comportements grégaires

Dans la lignée de mes travaux développés dans La Stratégie du Caméléon, il s’agira de comprendre dans quelles zones de notre cerveau se situent les comportements observables lors des dynamiques de groupe. Nous verrons également quelles sont les zones liées à la domination et celles davantage associées à des notions plus empathiques d’entraide et de cohésion.


3 - L’influence de la rumeur

Comment circule l’information dans un groupe ? Il me semble qu’à l’heure de la désinformation généralisée, il est important de comprendre les mécanismes sous-jacents à la transmission d’information dans un groupe. Si la rumeur a un rôle particulier en politique, au coeur d’un groupe, elle se propage d’une certaine façon, tout en répondant à des aspects anthropologiques. L’information est tour à tour objet de fantasmes (on citera les travaux d’Edgar Morin sur la rumeur d’Orléans, et ceux de Kapferer).


4- Les comportements saboteurs déviants

Avide et enthousiaste à l’idée de “typologiser” les comportements que j’ai pu observer, je vous partagerai les “persona” sous la forme d’une grille assez simple qui prend la forme d’un carré sémiotique abouti en circept (merci à Emmanuel Carré pour sa relecture sur ce point). Cette approche me permet de déployer les aspects de personnalité développés dans mon dernier ouvrage, Ce que les gestes et les mots disent des autres, à l’échelle du collectif. L’objectif de cette partie est de rendre repérables les comportements qui plombent littéralement le collectif et les effets de contamination au sein des groupes.

On pensera également à la notion d’hybridation développée par Bruno Latour pour sortir du manichéisme Bien / Mal et bien comprendre et approfondir la notion de sabotage.


5- La biopolitique

Principalement associée au philosophe Michel Foucault, le concept de biopolitique désigne une forme de pouvoir qui s'exerce sur la vie humaine. Ce pouvoir s’exerce sur les esprits mais également les corps des individus et des populations, inscrits dans un champ politique. Ce point est fondamental car il nous permet de comprendre les comportements modifiés de personnes très sympathiques en véritable tortionnaires, comme en témoignait à son époque l’expérience de Milgram. L’espoir reste de mise :


Un chercheur français a reproduit l’expérience de Milgram, à ceci près que le cobaye est... un poisson rouge. Pour des raisons éthiques, ce dernier est un poisson méca- nique, mais très réaliste. Afin que l’expérience corresponde aux standards scientifiques, 15 % des participants initiaux ont été rejetés, notamment ceux qui avaient vu l’entourloupe. Voici comment se déroule la séance. Chaque volontaire doit administrer un produit toxique dans l’aquarium où se trouve le poisson. L’objectif annoncé est l’étude de la nocivité d’un produit, dans le cadre du développement d’un médicament. Les participants sont bien informés des effets de la subs- tance : douleur et mort lente au menu du poisson. Des conséquences directement mesurées grâce à un capteur implanté. Les volontaires ont le choix entre une douzaine de boutons, indiquant la probabilité de décès du poisson : 0 %, 33 %, 75 %, etc. L’action d’appuyer sur le bouton est suivie de bips sonores, reflets du niveau de détresse cardiaque de l’animal.
D’après vous, combien ont tué le poisson rouge ? Si vous suivez la logique de Milgram, vous me répondez 80 %. Eh bien, dans le cadre de cette expérimentation, 53 % sont allés jusqu’au bout. Oui, ça reste beaucoup, mais 20 % ont refusé catégoriquement de commencer l’expérimentation. De quoi redonner espoir en l’espèce humaine, non ? Le chercheur évoque les différences de facteurs individuels pour expliquer ces écarts. Par exemple, les femmes injectent en moyenne moins de doses que les hommes. Au-delà du genre, les convictions entrent également en ligne de compte, les personnes végétariennes étant moins susceptibles d’empoisonner le poisson. De même, les individus faisant preuve d’empathie (mesurée à l’aide d’un questionnaire) ont moins administré de doses. À l’inverse, ceux qui étaient convaincus de la moindre valeur des animaux par rapport à l’espèce humaine ont davantage actionné les boutons. Idem pour ceux esti- mant nécessaire la hiérarchie entre les groupes humains et une forme de dominance sociale. Extrait pp79-80 Ce que Les Gestes et les mots disent des autres...

Pour conclure simplement sur cet aspect biopolitique, et basé sur mon expérience du jeu, rappelons que ce n’est pas tant le rôle (être loup ou villageois : qui ont est dans le jeu) qui définit notre comportement mais bien nos valeurs (comment on le joue dans le jeu). Dit autrement, les pires raclures ne sont pas toujours les loups… 


J’ajouterais enfin que la beauté de ce jeu réside dans un aspect fondamental : puisque nous vivons au temps des tribus, pour reprendre l’expression du sociologue Michel Maffesoli, le jeu pose aussi cette question inverse au repérage des saboteurs, à savoir, COMMENT PROTÉGER, AFFIRMER, CONSOLIDER SON CLAN ?  Cette dimension anthropologique, qui pose autant la question des valeurs que des comportements, me semble structurante de toute organisation familiale, professionnelle, sociétale et plus que jamais actuelle.


Si vous souhaitez en savoir plus, contactez-moi sur Linkedin, j’aurais grand plaisir à faire jouer vos équipes afin de découvrir la complexité des comportements collectifs.




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